Un vent nouveau souffle sur l’enseignement supérieur en Afrique. Le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Niger etc. Tous ces pays offrent des opportunités pour s’implanter. Les États mettent à disposition des espaces, la technologie émerge et puis surtout il y a un marché.
« Depuis plusieurs décennies, l’enseignement supérieur n’est pas une priorité pour les États du continent africain ». Ce constat sans appel est dressé par Clément Ramiarinjaona. Le vice-recteur de l’AUF (Agence universitaire pour la francophonie) faisait partie des spécialistes invités à livrer leur analyse, lors de la conférence EducPros du 16 février 2018. Pourtant, les besoins sont réels, portés par une croissance parallèle de l’économie et de la démographie. Dans ce contexte, l’Afrique fait figure, pour tous, de nouvel eldorado en matière d’éducation.
C’est un fait, de plus en plus d’établissements français s’installent sur le continent. Certains créent leur propre campus, d’autres préfèrent s’associer à des structures locales ou imaginer de nouveaux modèles de coopération, à l’image de HEC, qui a tissé des partenariats avec les chambres de commerce locales pour développer une offre d’executive education.
Au-delà de ces initiatives individuelles, le gouvernement français pousse ses écoles et ses universités à s’emparer de ce « marché » de l’éducation africain, de plus en plus concurrentiel. « Les priorités de la diplomatie française sont de trois ordres, détaille Clélia Chevrier Kolacko, sous-directrice à l’enseignement supérieur et à la recherche au ministère des Affaires étrangères. Il s’agit de former les élites locales, d’aider au développement et à la stabilisation des pays et de soutenir les entreprises dans leur croissance. »
Ne pas avoir de complexes
Alors que le continent voit s’établir des établissements privés à la qualité plus que variable – « la majorité de ces établissements sont des officines qui ne méritent pas d’exister », insiste Clément Ramiarinjaona –, les acteurs français « ne doivent pas avoir de complexes, plaide Clélia Chevrier Kolacko. Il faut garder en tête que notre système éducatif a le meilleur rapport qualité-prix. »
Outre les initiatives portées par le gouvernement, à l’instar du futur campus franco-sénégalais, annoncé par Emmanuel Macron lors de sa visite au Sénégal début février 2018, d’autres actions voient le jour, portées par les établissements eux-mêmes.
Parmi les exemples cités, l’Insa euro-méditerranée, ou encore le projet d’école porté par l’IMT (Institut Mines-Télécom), qui pourrait voir le jour au Sénégal dans les prochaines années. « C’est pour nous l’opportunité de partir d’une page blanche, d’inventer de nouveaux modèles pédagogiques qui viendront nourrir nos établissements français », appuie Michel Pavageau, directeur des relations internationales de l’IMT.
Viser les pays anglophones
Face à la concurrence grandissante de nouveaux pays, parmi lesquels la Chine et l’Inde, pour le moment, la France continue d’attirer le plus d’étudiants issus du continent, selon les derniers chiffres de Campus France. Mais cette position est menacée : « Dans les pays francophones, il y a moins de désir de France », analyse Olivier Chiche-Portiche, directeur de la coordination géographique de l’organisme.
Selon lui, cette situation doit notamment pousser les établissements à ouvrir leurs champs exploratoires, pour se tourner plus volontiers vers les pays anglophones. Afrique du Sud, Mozambique, Éthiopie et Ghana figurent ainsi sur la liste des États à suivre de près.
Autre champ à explorer, celui du numérique. Sur un continent où le smartphone est roi, l’offre de formations en ligne devrait fortement croître au cours des prochaines années. En atteste la fréquentation de la plate-forme de Mooc FUN, qui voit le taux d’apprenants africains augmenter régulièrement, pour atteindre, en 2017, 18 % du public total. Mais le développement de l’éducation numérique n’en est qu’à ses débuts, la question de la solidité du réseau informatique étant au cœur de la problématique.
Reste que dans un contexte budgétaire contraint, écoles et universités doivent trouver des modèles économiques viables. « Plusieurs questions doivent être posées, résume Pierre Tapie, cofondateur du cabinet Paxter, ancien directeur général de l’Essec et ancien président de la CGE. Qui prend le risque immobilier ? Quel est le modèle économique en régime de croisière ? Enfin, comment arriver à absorber les déficits de la première année d’implantation ? »
Appels à projets gouvernementaux, prêts octroyés par l’AFD (Agence française de développement), coopérations avec les entreprises… « Il n’y a pas à débattre sur l’intérêt d’être présent en Afrique, conclut Michel Pavageau, directeur des relations internationales à l’Institut Mines-Télécom. Si la France n’y va pas, le reste du monde n’attendra pas. »
Avec un début de redressement des économies africaines, la reconnaissance récente par le Groupe Banque mondiale et d’autres agences de développement du rôle important que peut jouer l’enseignement supérieur dans le processus de développement socioéconomique de l’Afrique, ainsi que la résurgence d’un intérêt pour l’enseignement supérieur, il devient impératif d’accélérer le redressement et la revitalisation des institutions d’enseignement supérieur dans l’ensemble du continent.